- SÉLEUCIDES
- SÉLEUCIDESIssue du démembrement de l’empire d’Alexandre, la monarchie séleucide, qui a duré de 312 à 64 avant J.-C., se range parmi les monarchies hellénistiques: l’épithète insiste sur la propagation de la civilisation grecque parmi des peuples encore «barbares», grâce à l’action de familles royales gréco-macédoniennes. Les Séleucides occupent cependant une place originale à plus d’un titre. Du Bosphore à l’Inde, leur royaume regroupe d’immenses territoires aux frontières mal définies et mal défendables (surtout au nord et au nord-est), et dont la population clairsemée offre un bariolage de races, de langues, de religions, de types d’organisation politique: peuples indo-européens et sémitiques, langues perse, araméenne et grecque, cultes de Zoroastre, de Yahvé, des Baals syriens et des Grandes Mères d’Asie Mineure, dynastes, principautés sacerdotales et vieilles cités grecques. Les Séleucides ont donc à régler des problèmes délicats d’administration et de civilisation, la vie de relations revêt une importance particulière dans leur royaume: venus de l’Europe, ont-ils su adopter des préoccupations asiatiques? Et, pourtant, les Séleucides ont connu deux siècles et demi d’existence. La puissance du roi était le seul élément d’unité: quel usage les souverains en firent-ils? Cette première partie de notre étude nous conduira jusqu’au plus grand d’entre eux, Antiochos III. On examinera alors l’organisation du royaume à son apogée, ainsi que les progrès de l’hellénisation. Ce qui permettra de répondre à la question suivante: est-ce le machiavélisme de Rome ou la faiblesse interne du royaume qui explique la chute facile des Séleucides?Heurs et malheurs des Séleucides au IIIe siècle avant J.-C.Le fondateur de la dynastie, Séleucos Ier Nicator (env. 358-281 av. J.-C.), était le fils d’Antiochos, un des généraux de Philippe II de Macédoine; il avait pris part à l’expédition d’Alexandre le Grand. Ce n’est qu’après la mort de ce dernier qu’il se distingua, dans le complot qui supprima le régent de l’empire, Perdiccas (321): la même année, Séleucos obtint la satrapie de Babylonie au partage de Triparadisos en Syrie. Sa domination fut mise en péril par le plus redoutable des diadoques, Antigone le Borgne; mais, aidé par Ptolémée d’Égypte, il peut rentrer à Babylone en 312, date qui marque la véritable fondation du royaume séleucide.Séleucos commande alors aussi en Médie, en Perside, en Susiane et, au moins nominalement, jusqu’à l’Inde, où il traite en 304 avec le roi Chandragupta. Néanmoins, la puissance de Séleucos resta menacée dans son existence jusqu’en 301, lorsque la bataille d’Ipsos vit l’écrasement d’Antigone sous les coups d’une coalition qui se partagea les territoires du vaincu: Séleucos obtint la Syrie. Désormais libre de déboucher sur la Méditerranée, il entra en conflit avec son ancien allié Lysimaque, qu’il battit au Kouroupédion en 281: maître de l’Asie Mineure, il allait s’emparer de la Thrace et de la Macédoine lorsque, à soixante-quinze ans, il fut assassiné par l’aventurier Ptolémée Kéraunos (281).Le royaume séleucide connaît alors sa plus grande extension. Au IIIe siècle, des forces centrifuges se manifestèrent dans cet ensemble hétérogène, difficilement maîtrisé par une lignée de princes médiocres.Antiochos Ier (281-261), associé au pouvoir dès 294, ne put empêcher la formation de royaumes indépendants sous l’autorité de dynastes indigènes autour de Pergame, en Bithynie, dans le Pont et en Cappadoce, tandis que les envahisseurs celtes fondaient la Galatie au centre du plateau anatolien. Si l’on ajoute que la zone montagneuse du Taurus ne fut jamais véritablement soumise, les possessions séleucides se restreignent à la Troade, à l’Éolide, à la Carie et à la Lydie, reliées à la Cilicie et à la Syrie par un corridor à travers la Phrygie et la Pisidie.D’autre part, la Cœlé-Syrie est l’enjeu de conflits répétés avec les Ptolémées d’Égypte: la première guerre de Syrie se déroule de 276 à 272.Antiochos II Théos (261-246) mène la seconde guerre de Syrie de 260 à 255. Il s’occupe fort peu des régions orientales où le satrape de Bactriane se dégage de l’autorité royale. Dans la région comprise entre l’Ochos et la mer Caspienne, des barbares venus des steppes touraniennes, les Parthes, fondent en 249 un nouvel État: la dynastie arsacide, qui prétend se rattacher aux Achéménides, régnera jusqu’en 227 après J.-C.La fin du règne est marquée par de lamentables intrigues de palais qui opposent la reine Laodice et son fils Séleucos II à la seconde épouse d’Antiochos II, la princesse lagide Bérénice, et à son fils. Séleucos II (246-225) gagne son surnom de «Kallinikos» en luttant contre Ptolémée III Évergète, venu défendre les intérêts de sa sœur lors de la troisième guerre de Syrie (246-241). Séleucos II n’en doit pas moins faire face aux ambitions grandissantes de son frère Antiochos Hiérax (le Faucon) à qui il abandonne l’Asie Mineure en deçà du Taurus, au terme d’une guerre «des Deux Frères» (vers 236) dont le bénéficiaire est surtout le roi de Pergame, Attale Ier.Après Séleucos III (225-223), le pouvoir revient à son frère, âgé de dix-neuf ans environ, Antiochos III. Son long règne de trente-six ans, tour à tour glorieux et dramatique, commence sous de sombres auspices. Il doit faire face à la révolte du stratège de Médie, Molon (222-221), puis à l’usurpation d’Achaios (220), cependant que la quatrième guerre de Syrie (219) s’achève par le désastre de Raphia (217). Antiochos allait toutefois arrêter un temps ce déclin.Il vint d’abord à bout d’Achaios, vaincu et supplicié en 215: la puissance séleucide en Asie Mineure était restaurée. De 212 à 205, Antiochos se retourne contre l’Orient en une éblouissante anabase qui rappelle les exploits d’Alexandre le Grand: tour à tour, il soumet l’Arménie, les Parthes, la Bactriane, où Euthydémos fait acte d’allégeance, les Paropamisades (Hindou-Kouch), avant de revenir, tout comme Alexandre, par l’Arachosie et la Drangiane, à l’embouchure du Tigre.Désormais auréolé du prestige de ses victoires, que consacrait le surnom de Mégas (le Grand), Antiochos pouvait effacer la honte de Raphia en s’emparant enfin de la Cœlé-Syrie lors de la cinquième guerre de Syrie (202-198).Le royaume séleucide à son apogéeLes Anciens n’usaient pas de l’expression «royaume séleucide» et parlaient seulement de la « royauté d’Antiochos» ou de tel roi. L’expression «roi de Syrie» n’a de sens qu’au IIe siècle, quand les Séleucides eurent perdu leurs autres possessions. Il n’en reste pas moins que la Syrie a été le centre de la monarchie depuis qu’Antiochos Ier avait fondé Antioche sur l’Oronte en 300.Pour les indigènes, le roi doit son pouvoir à la conquête. Pour les Grecs, il est le maître grâce à son arétè (vertu). Il paie de sa personne, et, sur les quatorze premiers rois, dix moururent en campagne. Une légitimité dynastique s’établit pourtant: lors de la révolte d’Achaios, les soldats refusent de marcher contre Antiochos. Cependant, le roi peut modifier l’ordre de succession par primogéniture: en 246, on discutait la réalité du revirement d’Antiochos II en faveur du fils issu de son premier mariage, et non la préférence accordée au fils de Bérénice. Séleucos Ier avait bien défini l’absolutisme royal en déclarant: «Ce que le roi décide est toujours juste.»La monarchie puisait un surcroît d’autorité dans le culte royal. Séleucos Ier était censé descendre d’Apollon. Les cités rendirent tôt un culte aux rois, dont les surnoms ont une valeur religieuse: Nicator (épiclèse de Zeus), Théos... Ce fut Antiochos III qui organisa le culte sous une forme dynastique dans tout le royaume, comme le prouvent les inscriptions d’Eriza (en Phrygie), de Néhavend et de Kermanchah (en Médie): un culte de la reine Laodice est adjoint au culte du roi et des ancêtres, célébré par des grands prêtres qui sont des personnages de haut rang.La cour, brillante, comporte un nombreux personnel, mal connu à l’exception du «préposé aux affaires», sorte de vizir.La variété géographique et ethnique du royaume imposa le maintien de la division perse en satrapies. À côté du satrape, un stratège exerçait le pouvoir militaire (sauf dans les satrapies orientales où le satrape conserve tous les pouvoirs). Sous Antiochos III, une réforme remit au stratège les pouvoirs civil et militaire, cependant qu’un «préposé aux revenus» s’occupe des finances.Tout le territoire n’est cependant pas soumis de la même façon à l’autorité royale. On distingue deux grandes catégories: la chôra a le roi pour souverain et pour propriétaire; ce domaine royal est exploité par des basilikoi laoi (serfs royaux), qui dépendent du roi sans être attachés individuellement à la terre, car seule la communauté à laquelle ils appartiennent a des obligations précises. Le roi peut aussi accorder des terres en don (doréai ), ce qui entraîne une certaine féodalisation, encore que ces doréai restent officiellement dans la dépendance du roi.Par la symmachia (alliance) le roi, tout en prescrivant des obligations, accorde des libertés à des rois, des dynastes, des peuples, des sanctuaires, des cités. C’est là que se révèle l’hétérogénéité du royaume. Les rois et les dynastes ont une attitude très variable. Les peuples (éthnè ) présentent des formes d’organisation diverses, comme en Judée, où le grand prêtre devint un véritable monarque. Les principautés sacerdotales sont particulièrement nombreuses en Asie Mineure et en Syrie. Mais le trait le plus original fut la multiplication des cités.Une politique d’envergure: la fondation de citésSéleucos Ier donna l’exemple en fondant près de soixante-dix cités, dont seize Antioche (du nom de son père). Après le règne d’Antiochos Ier, les fondations se raréfient pour reprendre sous Antiochos IV Épiphane. Il ne s’agit pas toujours de créations ex nihilo , mais souvent de synoecismes de villages, ou même simplement d’un changement de nom.Un premier ensemble de cités se trouve en Asie Mineure, région très disputée, où il s’agit de défendre la route reliant la Cilicie à la mer Égée. Un second groupe de fondations jalonne la grande voie conduisant de la Syrie du Nord au golfe Persique. Mais la région la plus urbanisée fut la Syrie du Nord, le cœur du royaume, qui devint «une nouvelle Macédoine», avec les quatre grands centres: Antioche sur l’Oronte, le port de Séleucie de Piérie, Apamée, place forte et centre des haras royaux, et Laodicée-sur-Mer, le second port du royaume; d’autres cités les entourent dont les noms évoquent la Macédoine: Beroia, Kyrrhos, Chalcis...Ces fondations ont les attributs des cités grecques: un territoire avec des villages indigènes à administrer, découpé en clèroi (lots) entre les citoyens, et un statut politique, qui n’exclut pas la présence d’un gouverneur royal (épistatès ) ni même d’une garnison.Les résultats sont appréciables dans le domaine militaire: les cités sont des citadelles et des centres de recrutement grec. Économiquement, certains centres, tel Séleucie du Tigre, deviennent des plaques tournantes des échanges commerciaux. Du point de vue politique, l’appréciation doit être plus nuancée: les rois se privent d’une partie de la terre royale et doivent alors compter avec la turbulence des cités, qui exploitent leur faiblesse. En retour, l’action des forces indigènes se trouve limitée, et l’urbanisation propage l’hellénisme. Fondée en 300 avec dix mille colons, Antioche a quatre cent mille habitants deux siècles plus tard. Toutefois, elle a beau être une des cités les plus prospères de l’Orient, elle ne peut rivaliser avec Alexandrie et Pergame dans le domaine artistique et littéraire, en dépit des efforts d’Antiochos III, qui fonde une bibliothèque et un musée. L’attrait exercé sur les indigènes est net jusqu’au cœur du royaume où Séleucie de l’Eulaios (Suse) a tous les aspects d’une cité grecque. C’est dans le domaine religieux que la résistance de l’Orient fut le plus nette: les sanctuaires babyloniens bénéficient même de la protection royale.Cette influence asiatique se retrouve dans la composition de l’armée. Comme dans les autres royaumes hellénistiques, l’élément central est constitué par la phalange macédonienne. Mais les autres troupes, lourdes ou légères, sont en majorité indigènes; la couleur locale est donnée en particulier par les chars à faux et les éléphants. Cette armée bigarrée reste fâcheusement hétérogène.La force du royaume séleucide était en définitive plus impressionnante que réelle. Antiochos III avait fait illusion et s’était fait illusion parce que ses adversaires étaient faibles. Face à la puissance romaine, l’effondrement fut rapide et irrémédiable.La fin des SéleucidesMaître de la Cœlé-Syrie depuis 198, Antiochos III voulut arracher encore au royaume ptolémaïque les possessions qu’il gardait sur les côtes d’Asie Mineure. Ce faisant, il inquiète Rhodes et surtout Pergame dont les plaintes alarment Rome, quand celle-ci apprend qu’Antiochos est passé en Europe pour soumettre la Thrace et qu’il a accueilli Hannibal fugitif. Les exigences de Rome sont inconciliables avec les prétentions d’Antiochos, et la guerre éclate en 192. Mollement menée par Antiochos qui n’avait aucune visée en Occident, elle trouve son dénouement à la bataille de Magnésie du Sipyle (189) que remportent les Scipions. Au traité d’Apamée (188), Antiochos III abandonne toute l’Asie en deçà du Taurus, que Rome répartit aussitôt entre Rhodes et surtout le royaume de Pergame. En 187, Antiochos III disparaît misérablement dans une embuscade en Susiane où il venait de piller un temple.Séleucos IV (187-175), au règne terne et mal connu, eut pour successeur son frère, Antiochos IV Épiphane (175-164) qui, étrange et fantasque, subit l’influence de Rome où il fut envoyé en otage. Il reste pourtant un Grec, et toute sa politique se présente comme une «défense et promotion de l’hellénisme». Ce faisant, il se heurte à la résistance des Juifs, dirigés par la famille des Maccabées; en 167 commença une guerre inexpiable qui conduisit à l’émancipation de la Judée en 104.Antiochos IV ne fut pas plus heureux à l’extérieur. Il allait remporter la sixième guerre de Syrie (169-168), lorsque Rome, déjà victorieuse de la Macédoine, lui enjoignit par un brutal ultimatum d’évacuer sa conquête.Désormais soumise à la volonté de Rome, la dynastie séleucide connaît encore un siècle d’une existence misérable; partagée entre deux branches rivales d’une égale médiocrité, elle s’entre-déchire en d’affreux drames familiaux pour la possession d’un royaume sans cesse plus réduit et plus faible. Après la Judée, c’est au tour des cités de Syrie de se liguer contre le pouvoir royal, tandis que les Parthes, conduits par Mithridate Ier (171-138), s’emparent de la Médie, de la Perside et même de la Babylonie (140). De cet immense empire il ne reste plus que la Syrie, qui est conquise en 83 par le roi d’Arménie Tigrane. Entraîné contre Rome par son beau-père Mithridate, il partage sa défaite. En 64, Pompée pénètre en Syrie; sourd aux prières d’Antiochos XIII, il la réduit en province.Ce dénouement était depuis longtemps prévisible. Cependant, il reste au mérite des Séleucides d’avoir, durant deux cent cinquante ans, assumé le destin d’une grande part de l’Asie en propageant l’hellénisme et en favorisant les contacts avec l’Orient. Rome recueillit cet héritage.Séleucidesdynastie hellénistique, fondée par Séleucos Ier Nikatôr v. 305 av. J.-C., qui régna sur la Syrie, la Mésopotamie, l'Asie Mineure, l'Iran, la Bactriane, la Sogdiane et la Parthie. Le fils de Séleucos Ier, Antiochos Ier, ne put conserver l'intégralité du territoire, que rétablit Antiochos III Mégas (roi de 223 à 187 av. J.-C.). Progressivement réduit au territoire de la Syrie actuelle, le royaume des Séleucides fut conquis par les Romains en 64 av. J.-C.
Encyclopédie Universelle. 2012.